Nous entrons dans la nouvelle année liturgique avec ce temps de l'Avent qui nous prépare à la grande fête de Noël. Comme le Carême, l'Avent est un temps de conversion pour chaque chrétien, comme l'enseigne saint Jean-Baptiste, le prophète privilégié de cette période liturgique : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur".
Voici ce quelques extraits de l'Année liturgique de dom Guéranger, qui nous présentent les spécificités liturgiques de ce temps :
S. Jean-Baptiste, par J. Leonardo de Chavacier (1601-1653) |
"On donne,
dans l’Église latine, le nom d’Avent au temps destiné par l’Église à préparer les
fidèles à la célébration de la fête de Noël, anniversaire de la Naissance de
Jésus-Christ. Le mystère de ce grand jour méritait bien sans doute l’honneur
d’un prélude de prière et de pénitence : aussi serait-il impossible
d’assigner d’une manière certaine l’institution première de ce temps de
préparation, qui n’a reçu que plus tard le nom d’Avent. Il paraît toutefois que
cette observance aurait commencé d’abord en Occident ; car il est
indubitable que l’Avent n’a pu être affecté comme préparation à la fête de
Noël, que depuis que cette fête a été définitivement fixée au vingt-cinq
décembre : ce qui n’a eu lieu pour l’Orient que vers la fin du IVe siècle,
tandis qu’il est certain que l’Église de Rome la célébrait en ce jour longtemps
auparavant.
(...) Nous
trouvons, dès le Ve siècle, l’usage de faire des exhortations au peuple pour le
disposer à la fête de Noël ; il nous reste même sur ce sujet deux sermons
de saint Maxime de Turin, sans parler de plusieurs autres attribués autrefois à
saint Ambroise et à saint Augustin, et qui paraissent être de saint Césaire
d’Arles. Si ces monuments ne nous apprennent point encore la durée et les
exercices de cette sainte carrière, nous y voyons du moins l’ancienneté de
l’usage qui marque par des prédications particulières le temps de l’Avent. (...)
L’obligation
de ce "carême", qui, commençant à poindre d’une manière presque
imperceptible, s’était accrue successivement jusqu’à devenir une loi sacrée, se
relâcha insensiblement ; et les quarante jours de la Saint-Martin à Noël
se trouvèrent réduits à quatre semaines. (...) Le premier indice que nous
rencontrons delà réduction de l’Avent à quatre semaines se trouve être, dès le
IXe siècle, la lettre du pape saint Nicolas Ier aux Bulgares. (...)
Benoît XIV,
encore Archevêque de Bologne, marchant sur de si glorieuses traces, a consacré
sa onzième Institution Ecclésiastique
à réveiller dans l’esprit des fidèles de son diocèse la haute idée que les
chrétiens avaient autrefois du saint temps de l’Avent, et à combattre un
préjugé répandu dans cette contrée, savoir que l’Avent ne regardait que les
personnes religieuses, et non les simples fidèles. Il montre que cette
assertion, à moins qu’on ne l’entende simplement du jeûne et de l’abstinence,
est à proprement parler téméraire et scandaleuse, puisqu’on ne saurait douter
qu’il existe, dans les lois et les usages de l’Église universelle, tout un
ensemble de pratiques destinées à mettre les fidèles dans un état de
préparation à la grande fête de la Naissance de Jésus-Christ. (...)
Remarquons
d’abord le nombre des jours de l’Avent. La quarantaine est la première forme
qu’ait adoptée l’Église pour cette période ; et cette forme est restée
dans le rite ambrosien et chez les Orientaux. Si, plus tard, l’Église Romaine
et celles qui la suivent Font abandonnée, le quaternaire n’en est pas moins
exprimé dans les quatre semaines qui ont été substituées aux quarante jours. (...)
Les
yeux du peuple sont avertis de la tristesse qui préoccupe le cœur de la sainte
Église par la couleur de deuil dont elle se couvre. Hors les fêtes des Saints,
elle ne revêt plus que le violet ; le Diacre dépose la Dalmatique, et le
Sous-diacre la Tunique. Autrefois même, on usait de la couleur noire en
plusieurs lieux, comme à Tours, au Mans, etc. Ce deuil de l’Église marque avec
quelle vérité elle s’unit aux vrais Israélites qui attendaient le Messie sous
la cendre et le cilice, et pleuraient la gloire de Sion éclipsée, et « le
sceptre ôté de Juda, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé, et qui
est l’attente des nations ». Il signifie encore les œuvres de la
pénitence, par lesquelles elle se prépare au second Avènement plein de douceur
et de mystère, qui a lieu dans les cœurs, en proportion de ce qu’ils se
montrent touchés de la tendresse que leur témoigne cet Hôte divin qui a
dit : Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Il exprime
enfin la désolation de cette veuve attendant l’Époux qui tarde à paraître. Elle
gémit sur la montagne, comme la tourterelle, jusqu’à ce que la voix se fasse
entendre qui dira : « Viens du Liban, mon Épouse ; viens pour
être couronnée, car tu as blessé mon cœur ».
Pendant
l’Avent, l’Église suspend aussi, excepté aux Fêtes des Saints, l’usage du
Cantique Angélique : Gloria in
excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis. En effet, ce
chant merveilleux ne s’est fait entendre qu’en Bethléem sur la crèche de
l’Enfant divin ; la langue des Anges n’est donc pas déliée encore ;
la Vierge n’a pas déposé son divin fardeau ; il n’est pas temps de
chanter, il n’est pas encore vrai de dire : Gloire à Dieu au plus haut des
cieux ! sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !
De
même, à la fin du Sacrifice, la voix du Diacre ne fait plus entendre ces
paroles solennelles qui congédient l’assemblée des fidèles : Ite, Missa est ! les remplace par
cette exclamation ordinaire : Benedicamus
Domino ! comme si l’Église craignait d’interrompre les prières du
peuple, qui ne sauraient être trop prolongées en ces jours d’attente.
Toutefois,
il est un trait spécial qui distingue ces deux temps : c’est que le chant
de l’allégresse, le joyeux Alléluia, n’est pas suspendu durant l’Avent, si ce
n’est aux jours de Férie. A la Messe des quatre dimanches, on continue de le
chanter ; et il forme contraste avec la couleur sombre des ornements. Il
est même un de ces dimanches, le troisième, où l’orgue retrouve sa grande et
mélodieuse voix, et où la triste parure violette peut un moment faire place à
la couleur rose. Ce souvenir des joies passées, qui se retrouve ainsi au fond
des saintes tristesses de l’Église, dit assez que, tout en s’unissant à
l’ancien peuple pour implorer la venue du Messie, et payer ainsi la grande
dette de l’humanité envers la justice et la clémence de Dieu, elle n’oublie
cependant pas que l’Emmanuel est déjà venu pour elle, qu’il est en elle, et
qu’avant même qu’elle ait ouvert la bouche pour demander le salut, elle est
déjà rachetée et marquée pour l’union éternelle. Voilà pourquoi l’Alléluia se
mêle à ses soupirs, pourquoi sont empreintes en elle toutes les joies et toutes
les tristesses, en attendant que la joie surabonde à la douleur, en cette nuit
sacrée qui sera plus radieuse que le plus brillant des jours."